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Bernard Pacaud : La quête de la pureté

Mis à jour le
January 6, 2025
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13 Minutes

Apprentissage et philosophie

Bernard Pacaud a commencé son apprentissage à l'âge de 13 ans et demi auprès de « Mère » Brazier, une icône de la cuisine lyonnaise. Il a rapidement établi sa philosophie culinaire, centrée sur l'utilisation des meilleurs ingrédients. « N'utilisez que le meilleur. Au final, les clients sont prêts à en payer le prix », déclare-t-il. Pacaud n'est pas du genre à faire la couverture des magazines ou à la télévision. « Je fais simplement mon travail du mieux que je peux », affirme-t-il.

Bernard Pacaud

L'Ambroisie et son esprit

Le nom L'Ambroisie est discrètement gravé dans un vert subtil à l'entrée, sous les arcades de la place des Vosges. À l'intérieur, les invités sont transportés dans un monde qui rappelle la vieille France : tapisseries murales, décor digne d'un château et service traditionnel. Le restaurant propose une sélection de vins raffinés qui ne figurent pas sur le menu.

« Regardez ce qu'est devenue la gastronomie ! » Bernard Pacaud s'exclame, sa déception visible au-dessus de son chaume. « La gastronomie est devenue comme la parfumerie et un peu de cognac. Emballage attrayant et présentations créatives. Mais qu'y a-t-il réellement à l'intérieur ? La chimie remplace l'essence des fleurs et le caramel remplace le vieillissement en barrique. Seules les apparences comptent. On ne mange qu'avec les yeux. »

L'espace d'un instant, Pacaud semble perdu au cœur de son restaurant. Derrière lui se trouve la prestigieuse place des Vosges, considérée par beaucoup comme la plus belle place de Paris. À sa gauche et à sa droite, son équipe vérifie méticuleusement chaque détail, l'œil averti scrutant le décor aux allures de château à la recherche de la moindre imperfection. Est-ce que tout est parfaitement en place ? Les tapisseries sont-elles impeccables ? L'éclairage de la première pièce est-il correctement réglé ? Il y a un instant, Pacaud lissait lui-même une bougie.

Souvenirs de Lyon et héritage de Mère Brazier

Il revient ensuite dans ses souvenirs en évoquant des plats à base de mousse et de gelée, si populaires aujourd'hui. « Je préfère l'émotion à l'émulsion », murmure-t-il en ajustant son tablier bleu. Il se souvient de sa jeunesse et de la cuisine lyonnaise d'une époque révolue où les grives et les bécasses étaient encore cuites et où les écrevisses à griffes rouges étaient transformées en délicieuses préparations. « Nous avions tellement d'écrevisses que nous avons vendu leurs coquilles à d'autres établissements pour qu'ils puissent fabriquer du beurre d'écrevisses. » Aujourd'hui, il est presque impossible de trouver de véritables écrevisses à griffes rouges. « À Lyon à cette époque, nous n'utilisions que de la volaille de Bresse « manucurée ». »

De la volaille « manucurée » ? « Les volailles devaient être propres, tout comme les fermiers. Ma mentore, Mère Brazier, l'a exigé. » Bernard Pacaud a vécu ces moments de première main. Il possède 60 ans d'expérience dans la haute cuisine. À 13 ans et demi, cet orphelin breton a été recueilli par Eugénie Brazier (1895-1976), la plus grande chef lyonnaise et véritable légende. On raconte qu'en 1953, le Waldorf Astoria de New York lui a offert un salaire annuel de 150 000 dollars. Elle a refusé. Un maharaja indien a même tenté de l'attirer avec une cuisine équipée de casseroles en or pur. Elle a de nouveau refusé. Elle n'a capitulé qu'une seule fois, lorsqu'un représentant de la compagnie d'électricité s'est présenté à sa porte, insistant sur le fait que son restaurant devait être connecté au réseau. Les jours des poêles à bois et à charbon étaient comptés. Mais Eugénie Brazier a déclaré : « S'il me faut de l'électricité, je la produirai moi-même ». Elle a ensuite fait installer un générateur dans la cave.

Le jeune Bernard a grandi dans cette atmosphère. Eugénie Brazier a influencé la vision du monde et de la cuisine de Pacaud. Lorsqu'il a commencé son apprentissage en 1962, il était parfois chargé d'observer les cochons. Mère Brazier a élevé quelques animaux, convaincue que les plats faits maison avaient tout simplement meilleur goût. « À l'époque, nous achetions en fonction de l'origine des produits. Chapons de Bresse, tomates Marmont... » Aujourd'hui encore, chaque mardi, Pacaud sélectionne ses propres produits et n'hésite pas à donner une idée à ses fournisseurs. Il examine attentivement chaque cèpe, refusant catégoriquement ceux qu'il juge de qualité inférieure. Les fournisseurs ne s'en plaignent pas, car Pacaud les paie bien. « Quand on connaît vraiment les ingrédients, on les aborde différemment. Si les langoustines ne sont pas vraiment fraîches, je les sens immédiatement. Je sens l'ammoniaque me piquer les doigts. »

Table à l'Ambroisie

La carrière à Paris et la naissance de L'Ambroisie

Certains clients, fournisseurs et amis lui disent parfois que cette quête des meilleurs produits est un peu démodée. Ils disent que cela manque de créativité. Pacaud rétorque : « Après Mère Brazier, j'ai travaillé avec Claude Peyrot au Vivarois à Paris. Il était l'un des chefs les plus novateurs de l'époque. Les premières huîtres au curry ? C'était lui. Mais le produit était toujours au centre de l'assiette. Nous n'avions pas besoin de masquer les arômes ou de peindre avec les aliments. » Les idées innovantes d'Eugénie Brazier et Claude Peyrot ont été ses premières sources d'inspiration.

Lorsqu'il a ouvert son propre petit restaurant rue de Bièvre au début des années 1980, Pacaud a voulu tout repenser. « Je voulais un endroit pour mes amis. Avec les plats du jour sur un tableau noir, deux personnes dans la cuisine, deux dans la salle à manger. Les lundis étaient consacrés au pot-au-feu, les mardis au ragoût de veau. » En seulement deux ans, ce modeste restaurant a reçu de nombreuses distinctions culinaires. Il a ensuite déménagé au prestigieux « Hôtel de Luynes », sur la place des Vosges. Le menu s'est élargi, mais la philosophie est restée la même : « Seulement le meilleur pour les clients ».

L'Ambroisie est-il un anachronisme ? Bernard Pacaud se distingue des autres grands chefs français. Il n'ouvre pas de bistrots parallèles, ne fait pas de publicité pour les produits industriels et apparaît rarement sur les couvertures de magazines, uniquement lorsqu'il connaît bien le journaliste ou le magazine. Son équipe lui est fidèle. Il ne fait pas d'histoires et se contente d'une simple plaque en marbre avec l'inscription « L'Ambroisie ». Il a même omis le mot « restaurant ». « Je n'ai pas besoin de voir mon nom partout », affirme-t-il.

Loup de mer au caviar chez L'Ambroisie

Des plats exclusifs et une philosophie durable

Sa fricassée de homard aux marrons et à la citrouille dans une sauce « diabolique » est l'un de ses plats phares. La partie « diabolique » provient d'une passion enflammée avec le cognac. Il a également le goût saumâtre du crustacé, une recette astucieuse sans être trop compliquée. Quand il en a envie, Pacaud prépare une « tourte » pour ses invités, une grande tarte chaude recouverte d'une pâte feuilletée croustillante. Parfois, il est rempli de pétoncles, d'autres fois de gibier à plumes. La première coupe révèle le charme de la tourte. Le chef superpose méticuleusement magret de canard et foie gras, en y ajoutant de temps en temps un peu de veau. C'est un plat exquis que l'on ne trouve plus ailleurs. « La tourte demande beaucoup de travail. Il faut le préparer avant le service du soir et, si possible, le servir aux premiers clients », lance-t-il en levant les sourcils.

En dessert, Bernard Pacaud a une préférence pour un simple gâteau au chocolat, divinement riche, accompagné d'une crème glacée crémeuse à la vanille. Y a-t-il un secret dans cette recette ? Une technique particulière ? Pacaud est surpris par la question : « Il suffit d'utiliser du bon chocolat », confie-t-il. Les « arlettes » apparemment simples de leur menu sont sublimées par le vin : un moelleux de Vouvray, « La coulée d'or », datant de 1990 par Bourillon Dorleans. « Un millésime exceptionnel pour ce vin. »

Parmi les incontournables de la carte, les ris de veau sont proposés de différentes manières : par exemple, avec des quenelles financières et des macaronis. Les quenelles, étonnamment légères, ont perdu leur densité féculente d'antan. Les ris de veau qu'il propose aux câpres séduiront même ceux qui n'aiment pas les abats. Les citrons apportent une touche de fraîcheur et les câpres une pointe d'épices. C'est un plat équilibré et apparemment simple. « Je ne cherche pas à innover à l'excès ; je donne la priorité à l'essentiel », affirme toujours Pacaud. « Si je peux minimiser la transformation des ingrédients, alors je suis heureuse. » C'est pourquoi il admire secrètement la cuisine italienne. « Des saveurs franches, des préparations apparemment simples, mais elles révèlent des plats magnifiques ! Mais ceux qui ne fréquentent que les restaurants parisiens ne peuvent pas comprendre. »

Selon lui, l'appréciation pour les bons produits est en train de disparaître. C'est sa plus grande préoccupation : « Les gens perdent le goût des vrais produits », soupire-t-il. « Ils trouvent que le bœuf et le poulet élevés à la ferme sont trop coriaces. Ils adorent les entrées trop sucrées. » Où peut-on encore « apprendre », ou plutôt « redécouvrir », la véritable saveur des produits aujourd'hui ? Pacaud hausse les épaules et jette un coup d'œil à la table immaculée. La réponse semble évidente : chez L'Ambroisie, à Paris, sur la place des Vosges.

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